Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

« La fabrique actuelle des politiques éducatives a tendance à saper l’engagement des enseignants »

Professeur en sciences de l’éducation à l’université Claude-Bernard-Lyon-I, Xavier Pons analyse dans son dernier ouvrage, La Fabrique des politiques d’éducation (PUF, janvier 2024), comment la conception des politiques éducatives a changé à travers le temps et à quel point l’accélération du rythme des réformes nuit à leur acceptation.
Pour répondre à cette question, il faut faire un peu d’histoire. Depuis la toute fin des années 1940, il y a schématiquement trois modèles de fabrique des politiques éducatives qui se sont succédé et coexistent les unes avec les autres. Le premier, encore présent aujourd’hui, c’est le modèle de « la communauté de politiques publiques ». Les politiques élaborent des réformes avec un nombre limité d’acteurs institutionnels, avec lesquels ils ont l’habitude de travailler, comme les organisations professionnelles ou les associations de parents. Les politiques d’éducation ont ainsi longtemps été fabriquées en cogestion avec ces acteurs.
Ce modèle-là est questionné à partir des années 1970, notamment avec les débats sur la décentralisation. On entre alors dans un modèle que j’ai appelé « décommunautarisation ». Il s’agit avant tout de se défaire du modèle précédent et de faire appel à un plus grand nombre d’acteurs, dont les experts internationaux. C’est aussi l’époque où les consultations nationales sur l’école apparaissent et où les instituts de sondage se structurent. Ce second modèle est encore très présent. Lorsque le premier gouvernement d’Edouard Philippe se réunit en 2017 en séminaire, l’expert qu’on appelle sur les grands enjeux éducatifs est un analyste de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), par exemple.
Il apparaît plus récemment. C’est celui du puzzle accéléré. On en voit les prémices sous le ministère de Xavier Darcos en 2007 avec la réforme de l’enseignement primaire par exemple. C’est un mode de gouvernement, également prisé par Jean-Michel Blanquer entre 2017 et 2022, où l’on avance sur des dossiers apparemment techniques et déconnectés les uns des autres, par touches successives. A chaque fois que les acteurs essayent de saisir le sens de ces réformes ou de politiser le débat, on leur rétorque qu’il s’agit d’un travail de facilitation administrative ou de pragmatisme, si bien qu’on ne voit pas de prime abord le projet d’ensemble. Ce modèle correspond à une façon de gouverner selon des temporalités toujours plus courtes.
Il vous reste 57.51% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish